A la limite d’Étables-sur-Mer et de Saint-Quay-Portrieux, un monument du XVe siècle se désagrège dans l’indifférence générale.
En 1462-1463, sévissent en Bretagne de grandes épidémies de peste, réduisant de 30% la population dans l’ensemble du pays. Les seigneurs de la rue Louais, les sires Nicol et Percevaux, échappent à la maladie. Pour remercier le ciel de sa clémence, ils décident d’ériger un calvaire à leurs frais. A Lesneven, quelques membres du grand atelier ducal du Folgoët achèvent la statue de Saint Jacques le Majeur (vous pouvez encore l’admirer). Ils ont vite fait de recruter un sculpteur qui exécute l’oeuvre, conformément à leur demande : L’artiste représente la Crucifixion. Le Christ penche la tête vers la droite, tandis que quatre angelots récupèrent dans des vases le précieux Sang. Au pied de la croix, Marie Madeleine serre sur son coeur un flacon d’huile parfumée, tandis qu’à sa gauche Saint Jean tente de dominer sa peine. Sur l’autre face, la vierge porte son enfant sur le bras gauche. A sa droite, un ange la couronne. Le fût qui n’est pas d’origine, mesure 1m60. Sur le socle, à l’avers, Notre Dame de Pitié lève les yeux au ciel, comme pour y rechercher une justification à son immense chagrin. Elle a un visage rond de petite fille. Elle m’évoque toujours la Piéta de Michel Ange qu’on ne peut voir sans être ému.
Le sculpteur était-il gaucher ? Car contrairement aux habitudes de l’époque, elle tient la tête de son fils de la main gauche. Sa main droite repose sur la poitrine du défunt, espérant peut-être percevoir un dernier souffle de vie.
Malgré l’épaisse couverture de lichen qui aujourd’hui la dissimule à nos yeux, c’est une oeuvre admirable et poignante qui mériterait un autre destin….
Sur le revers, sainte Catherine d’Alexandrie s’appuie sur sa roue brisée. Dessous, les blasons des sires Nicol et Percevaux sculptés en bas relief sont illisibles. Les quatre évangélistes, qui aux quatre coins de la table devaient répandre la bonne nouvelle, ont presque complètement disparu.
Initialement situé à proximité du manoir de la rue Louais, donc sur St Quay-Portrieux, il fut déplacé probablement au début du XXe siècle, pour le positionner au centre de la rue Louais, à la limite des deux communes, au carrefour du chemin du ponto.
En 1987, gênant la circulation automobile, il gagna son emplacement actuel, donc sur Étables-Sur-Mer. Il fut restauré en 1863 : Catherine et l’un des évangélistes héritèrent d’une tête en ciment ! Le 25 janvier 1918, en pleine guerre il fut classé Monument historique. Les Bretons espéraient-ils ainsi obtenir la prompte signature de la paix ? Le 23 novembre 1931, Henri Fortier de la Messelière fit un relevé précis des sculptures du Monument. Grâce à la netteté de ses croquis, j’ai pu décrire cette oeuvre ruinée par les intempéries et la pollution.
En 2006 les photos publiées par le Service Régional de l’Inventaire, rendent évidente la progression des dégradations subies depuis lors par ce monument, dont on cherche en vain un équivalent dans le département.
Comme pour entériner sa déchéance, son environnement, l’entrée de l’un des derniers chemins creux de la région, est constellé de constructions en parpaings. Sans oublier bien sûr, qu’il est devenu un lieu de parking bien pratique